Djamila Bouhired
djamila

Les deux agents de liaison marchaient en tête pour surveiller si aucune patrouille n'arrivait des rues adjacentes. Yacef et, maintenant, Si Mourad étaient si connus qu'ils ne pouvaient pas même espérer passer à travers un contrôle d'identité. Derrière les deux agents venaient en file indienne : Zohra Drif, Si Mourad, Hassiba dont la silhouette sous le haïk paraissait encore plus menue, Yacef, voilé lui aussi, et enfin nettement plus loin Djamila Bouhired sa serviette à la main.
Soudain un guetteur siffla. Une patrouille de zouaves sortant de la rue Bleue se dirigeait vers la ruelle empruntée par la petite troupe. Mostefa détala et tout le groupe en fit autant. Djamila déboucha de la rue du Nil dans la rue Bologhine à l'instant même où les zouaves y parvenaient. Le chef de patrouille aperçut son mouvement de recul en même temps que les fuyards.
Elle entendit la MAT qu'on armait. Elle s'arrêta.
Quelques mètres plus bas, Yacef avait enregistré la scène. Djamila était prise et le « bureau » qu'elle transportait ne lui permettait pas de se faire passer pour un simple agent de liaison. Elle allait être torturée. Et une femme ne supporterait pas ce que supportent mal les hommes. Yacef écarta son haïk. En un éclair, la MAT se retrouva dans sa main. Et il tira. Pas sur les zouaves. Sur Djamila Bouhired. Yacef avait décidé de la tuer. Ce serait mieux pour tout le monde !
La jeune fille s'écroula en gémissant. La patrouille riposta. Yacef s'enfuit à toutes jambes. Il avait eu le temps de voir que Djamila n'avait pas été mortellement blessée. Les zouaves l'emmenèrent. Il fallait agir vite. Yacef réunit quelques hommes et se rendit au commissariat de la Casbah, s'apprêtant à le prendre d'assaut si Djamila y était détenue. Un militant signala que la jeune fille avait été transférée à Maison-Carrée. Un agent de liaison envoyé immédiatement apprit que, vu son état, Djamila était en traitement à l'hôpital Maillot. Sous surveillance militaire. Il était maintenant hors de question de pouvoir sauver Djamila Bouhired.

Djamila Bouhired

L'aventure que cette jeune fille de vingt et un ans allait vivre en prison fut une des plus extraordinaires que l'on puisse imaginer.
Les paras des services spéciaux s'occupèrent  immédiatement de Djamila. Les papiers contenus dans la serviette prouvaient qu'elle était en relation constante avec l'insaisissable Yacef Saadi. Elle ne pouvait ignorer où il se cachait. Il fallait qu'elle le dise. Elle ne dit rien des caches de Yacef. Mais elle tenta de faire cesser la torture en donnant quelques adresses sans importance et des renseignements contenus dans les papiers saisis. Les hommes des services spéciaux ayant fini leur travail, remirent ensuite la jeune fille aux services de renseignements de l'état-major du général Massu. C'est l'adjoint du service, le capitaine Graziani, qui reçut la jeune fille.
Graziani était un très beau garçon, brun aux traits réguliers, amusant, enjoué, bon vivant, jouant avec la vie. C'était un joueur dans tous les sens du mot. Il jouait à la guerre, au renseignement, éventuellement à la roulette. Il avait été quatre ans prisonnier des Viets. Et sous ses dehors de je m'enfoutiste, il savait ce qu'était la souffrance et admirait la bravoure. Comme beaucoup de parachutistes, comme la majorité des léopards, s'il admettait que seules certaines méthodes permettaient d'obtenir des résultats dans une guerre subversive menée à coups de bombes aveugles et d'attentats urbains qui terrorisent la population, il n'approuvait pas la systématisation de la torture telle que la pratiquaient certains bérets verts étrangers et les services spéciaux.
Si la petite est passée dans leurs mains, confia-t-il à ses amis, elle a dû passer un sale quart d'heure.  Lorsqu'il demanda à Djamila, encore choquée par son interrogatoire, ce qu'elle avait fait, elle lui répondit : « Fumier ! » Elle prit une paire de claques et Graziani, sans insister, la fit soigner. Il voulait avoir  Djamila Bouhired au charme.

Graziani était persuadé que l'on pouvait obtenir des renseignements par d'autres méthodes que la torture. Graziani calma Djamila. Il vint la voir chaque jour à l'hôpital, puis, guérie, à la 10e D.P. où elle était détenue. Il l'emmena même à la popote des officiers. Ceux-ci, ignorant qui elle était, la traitèrent comme une jolie fille invitée par des officiers. Elle ne revint pas de sa surprise lorsque, sachant la vérité, les amis de Graziani se montrèrent aussi galants, aussi enjoués. Elle ne distingua aucun changement dans leur comportement. Elle crut à un piège. La douche écossaise. Torture et régime privilégié. Puis elle céda à la prévenance. On parla de la lutte, du Front, des léopards. On vit longtemps Graziani et Djamila Bouhired ensemble. On disait que la jeune militante était tombée amoureuse de l'officier parachutiste. De son côté, le capitaine ne semblait pas insensible au charme de la jeune fille. La nouvelle parvint à l'extérieur car le bruit circula chez les militants du F.L.N. d'Alger qu'elle était tombée amoureuse de son bourreau. Graziani devait mourir en héros en Kabylie, Djamila épousa son avocat.
Les relations étranges qui unirent durant quelques semaines le capitaine de parachutistes et la jeune F.L.N. ne constituèrent pas l'un des épisodes les moins étonnants de cette bataille d'Alger qui allait encore en susciter tant.

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Deuxième bataille d'Alger
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